C’est moi, la grosse acrobate. J’ai des grosses fesses et des grosses cuisses. Quand j’étais petite, je voulais faire sumo, mais mes parents ne voulaient pas. Ce n’est pas dans notre culture qu’ils disaient, c’est de l’appropriation culturelle, tu ne peux pas faire ça. Alors je n’ai pas fait ça. Je me suis mise à la danse, ça j’avais le droit. Ce n’est pas de l’appropriation culturelle ça, même si on ne se limite pas au sirtaki. Oui, je ne vous ai pas dit, je viens de Grèce. J’y étais bien ; ma Grèce natale. Qu’est-ce qu’on est bien dans ma Grèce, il y fait chaud, on se sent comme englobé par des grosses mains moites. Mais je ne regrette rien. Les voyages, c’est ce qui vous construit une femme. Les voyages, c’est mes étais : c’est grâce à eux que je me tiens droite et que je grandis. Je n’ai pas encore fini ma croissance, j’ai mon rythme, il paraît. C’est le sport, ça vous bloque la croissance, alors j’ai du retard. Quand je serai grande je mangerai des enfants, et on m’appellera l’ogresse, mais en attendant, je m’appelle Hippodamie.
Oui, ils sont drôles, mes parents, à croire qu’ils le savaient déjà que je tiendrais davantage de l’hippopotame que du petit rat de l’opéra, ils ont dû bien rire le soir, dans leur chambre, à regarder ma courbe de poids dépasser du haut de la page du carnet de santé pour se perdre dans les éthers. Moi aussi, j’aime me perdre dans les éthers : je fais du trapèze. La danse, c’était une phase, ça finit toujours par passer, et je n’en pouvais plus d’être cernée de ces petits phasmes, de ces brindilles si pâles qu’elles en étaient transparentes, qui se mettaient à quarante pour m’encercler et à quatre-vingt pour me soulever. Je suis partie en roue libre, j’avais rongé tout mon frein : j’ai dévalé les escaliers en renversant toutes celles qui se trouvaient sur mon passage pour ne plus jamais revenir. Ca, ça n’a pas beaucoup fait rire mes parents, par contre. Ils n’ont jamais aimé que je descende les escaliers en courant. Alors, comme j’aimais beaucoup la géométrie, je me suis mise au trapèze. Pour ce que j’en sais, j’aurais tout aussi bien pu faire du losange ou du rectangle, mais certainement pas du triangle, j’aurais eu trop peur de rater les accords. Pour passer le temps, en attendant d’avoir l’âge et la taille de manger des enfants, je me propulse à travers les airs avec la ferme ambition de transpercer la toile du chapiteau et la voûte céleste pour enfin apprendre la géométrie dans l’espace.
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