La scène représente une chambre avec un lit immense installé au centre de la pièce. Deux mosaïques de part et d’autre du lit dessinent une enclume et un marteau pour l’une, un volcan en éruption pour l’autre. Une grande baie vitrée expose un ciel azur dans lequel on peut voir passer le char d’Hélios. Entrent Aphrodite et Arès en riant.
– Cesse donc de t’inquiéter ainsi, tu sais bien que mon mari travaille jusqu’au coucher du soleil, occupé à frapper comme un sourd sur son enclume à longueur de journée.
– En es-tu bien certaine ? Quand on voit son allure, on est en droit de supposer que son enclume lui rend plus de coups qu’elle n’en reçoit.
Rires enregistrés
– Allons, Arès, tu es bien dur. Héphaïstos est peut-être laid et boiteux, mais il a de nombreuses qualités !
– Notamment celle d’être absent.
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– Enfin, tu exagères ! Il est travailleur, consciencieux et méticuleux. Il est un artisan de talent.
– Que de qualités ! Et elles ont toutes en commun de s’exercer à distance, voilà qui arrange bien notre affaire ! Je ne comprendrai jamais ce qui t’a poussée à épouser ce nabot. Il est tellement décrépit qu’il sera bientôt plus mal en point que les trois Grées.
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– C’est mon père qui en a décidé ainsi. Tu sais ce qu’on dit : autre temps, autres mœurs. Et moi, je meurs d’envie de toi. Alors cessons de nous occuper dès à présent de celui qui est parti et concentrons-nous davantage sur les parties de ceux qui sont présents.
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Hélios, qui a garé son char juste devant la baie vitrée, ne perd pas une miette de la scène : la tête dans les mains, il regarde, les yeux exorbités, le couple s’adonner à la bagatelle.
– Que vois-je ! Ciel, telle Cassandre et tel Tony Shalhoub dans Monk, mon don est aussi ma malédiction ! Il n’est pas tous les jours facile d’être panoptès ! Mais je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, il faut que je reprenne la route avant que quelqu’un ne s’aperçoive que la course du soleil s’est arrêtée, je file !
–
Plus loin, plus bas, plus tard, juste après le coucher du soleil, dans la chaleur rougeoyante de sa forge, Héphaïstos tape avec ardeur sur son enclume. La sueur lui coule du front et tombe sur le métal chaud où elle disparait aussitôt en nuages de vapeur crépitants. On entend une porte claquer et Hélios entre en courant.
– Héphaïstos, mon ami, pardonne-moi si je t’interromps mais je viens te porter d’horribles nouvelles que j’ai apprises pas plus tard que cet après-midi et que je ne peux pas te cacher plus longtemps ! J’ai vu ta femme et Arès ! Dans ton propre lit ! Et quand je vois ce qu’ils ont fait, même les États-Unis à l’époque de Clinton auraient eu du mal à nier l’adultère !
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– Hélios, vieux voyeur, penses-tu donc que je ne suis au courant de rien ? Pourquoi crois-tu que je sois en train de forger ce robuste filet dont les mailles résisteraient même aux titans ?
– Pour partir à la pêche afin de te changer les idée dans un environnement serein et apaisant ?
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– J’ai un plan infaillible, Hélios. Pour l’heure, fais comme si de rien n’était et reprends tes occupations.
–
Lendemain, même heure, même chambre, mêmes personnages.
– Oh Aphrodite, quel magnifique édredon en mailles fines tu as sur ton lit aujourd’hui, on le devine à la fois raffiné et robuste. Et quel travail admirable, seul un artisan de talent me semble à même de produire un tel chef-d’œuvre !
– Arès, il s’agit d’un cadeau de mon mari. Ce pauvre bougre ne se doute de rien et je vois dans ce cadeau une preuve renouvelée de son amour pour moi et certainement pas un piège mesquin. Car il n’est pas dans sa nature de piéger ainsi mesquinement les gens. En tout cas plus depuis l’affaire du trône qu’il avait offert à Héra pour la piéger mesquinement. Non, je suis convaincue que nous n’avons rien à craindre.
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– Je te fais confiance.
Tel une dionée attrape-mouche, le piège mesquin se referme sur le couple qui s’enlace et s’embrasse : aussitôt les deux amants allongés nus sur le lit, un astucieux système de ressorts et de poulies enclenche le mécanisme, le filet se referme alors de façon irréversible. Héphaïstos traverse la pièce en se frottant les mains, suivi de l’intégralité de la grande famille du Mont Olympe.
– Chers cousins, oncles et tantes, mère infâme ayant tenté de me tuer…
– Oh, on en a déjà discuté, est-ce que tu pourrais arrêter de remettre ça sur le tapis devant tout le monde ?! Une femme a ses raisons qu’un fils boiteux ne peut pas comprendre…
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– Voyez mon malheur, voyez comme ma femme me trompe avec Arès, que je pensais être mon ami ! Je demande réparation ! Zeus, j’exige que des mesures soient prises immédiatement !
– Oh, tu sais, mon bonhomme, si tu t’attends à m’entendre condamner l’infidélité, t’es mal barré, mais bon, vu que tu as rassemblé tout l’Olympe dans ta chambre afin que tous sachent que tu es incapable de satisfaire ta femme, je suppose que la clairvoyance ne fait pas partie de tes qualités. Je vais donc m’efforcer d’être limpide pour éviter toute interprétation foireuse de ta part : tu vas détacher tout ce petit monde, tu vas te caler la bite derrière l’oreille et tu vas arrêter de nous emmerder pour des peccadilles pareilles. Affaire close, tout le monde rentre.
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