– Vous êtes sur le répondeur de Typhon, je ne suis pas disponible pour le moment mais vous pouvez me laisser un message et je vous rappellerai dès que possible.
– Bonjour monsieur, ici la clinique vétérinaire de Lerne, je vous appelle suite à l’opération de Désiré. Je vous rassure tout de suite, il va très bien, cependant l’opération ne s’est pas déroulée exactement comme prévu, nous avons rencontré quelques difficultés. Rien d’inquiétant, votre animal va bien, sa santé n’est pas en danger mais nous n’avons pas pu faire aboutir l’opération. Si vous pouviez venir le chercher au plus vite à la clinique, nous pourrions vous expliquer. Nous restons ouverts jusqu’à 18h.
Dans la pénombre moite du mobile-home trentenaire, Typhon range son téléphone dans sa poche et finit les trois dernières lattes de sa cigarette avant de l’écraser dans le cendrier et d’apostropher sa compagne qui, elle, fume sa cigarette à l’extérieur en finissant un verre de martini.
– Echidna ! Il y a eu un problème avec ton hydre chez le véto !
Elle gueule à son tour à travers la porte quelques instants, mais elle finira vite par rentrer et poser son verre vide sur le micro-ondes avant d’attendre appuyée contre l’évier tandis qu’il se relèvera péniblement du canapé.
– Comment ça, un problème avec mon hydre ? C’est toi qui voulais une hydre pour protéger tes poules contre les crocodiles !
– Ouais, mais c’était pour ton anniversaire. C’est toi la propriétaire sur les papiers.
– Tu fais vraiment ton maximum pour me faire chier tous les jours, toi ! Mais pourquoi j’ai épousé un beauf pareil ? Faut vraiment être débile pour élever des poules au fin fond d’un marais rempli de crocodiles. Des poules trop connes pour pondre des œufs, en plus. Et laides, j’te dis pas !
– Eh ça va ! T’es pas un premier prix de beauté non plus toi ! Et pis toi aussi t’es venue t’embourber dans ce marais, mais toi c’était de ton plein gré, c’est dire ! T’es encore plus conne que mes poules !
– Ouais bah tu sais ce qu’elle te dit la conne ? Que ton hydre de merde qu’a certainement encore dû bouffer quelqu’un, bah tu vas aller te la chercher tout seul ! Compte pas sur moi pour aller encore m’excuser pour tes bestioles dégénérées que t’es pas capable d’élever correctement. Eh, si on pouvait élever les animaux juste en tapant dessus un jour sur deux quand on a trop bu, ça se saurait.
– Mais tu vas la fermer ! Tu veux t’en prendre une aussi, c’est ça ? C’est ton hydre sur les papiers, tu vas venir avec moi, que ça te plaise ou non, c’est encore moi qui décide, il me semble. T’es une femme, tu obéis à ton homme !
– Ca y est, t’as plus d’arguments alors tu gueules, comme d’hab ! T’es pathétique, mon pauvre. Tu sais, ça compensera pas ta petite bite de beugler comme un porc !
Le grésillement incessant des marais est subitement interrompu par un bruit sec. Une nuée d’oies sauvages s’envole, quelques grenouilles qui coassaient avec insouciance se jettent à l’eau et s’éloignent du mobile-home et du poulailler qui s’enfoncent, un peu plus chaque année, dans le sol boueux. Un homme sort et tire par le bras une femme qu’il pousse vers le côté passager d’un SUV aux vitres teintées. Elle monte, il monte côté conducteur, ils démarrent en trombe.
–
– Vous allez bien madame ? Vous devriez peut-être désinfecter, ça a l’air tout gonflé.
– Je me suis cognée dans l’encadrement de la porte en sortant, c’est votre message qui m’a inquiétée, sans ça je me serais pas cognée. On vient pour voir Désiré. C’est vous qui avez appelé.
– Oui, bien sûr. On va passer dans la salle de consultation à côté, le vétérinaire vous attend.
– Ouais bah j’attends là, moi. J’ai pas envie de voir ce qu’il lui est arrivé à c’te pauvre bête, je préfère fumer une clope. Et je vais passer de l’eau sur mon œil. T’as qu’à y aller, toi.
– Suivez-moi monsieur alors, je vous guide. En tout cas vous deviez en avoir sacrément envie de ce petit chéri pour l’appeler comme ça.
– Nan. C’est pour Désiré Landru. Ca c’était un vrai mec. Un mec qui savait gérer les pétasses. T’entends ça, Echidna ?! Les pétasses !
– Pauvre con !
– S’il vous plaît, s’interpose un vétérinaire peu sûr de lui qui passe la tête par la porte de la salle de consultation. Si vous pouviez finir votre conversation plus tard, plus loin, qu’on se concentre sur Désiré. Entrez, je vous prie.
– Alors, qu’est-ce qu’il s’est mal passé ? Il a mordu qui ce con ? Faut pas hésiter à le taper s’il mord, vous cognez dessus et il va lâcher, c’est pas compliqué.
– Monsieur, votre hydre n’a mordu personne, le problème est lié à l’opération qui n’a malheureusement pas pu aboutir.
– Comment ça ? C’est si compliqué que ça de lui couper les couilles ? C’est pas une femelle, quand même ?
– Non, je vous rassure sur ce point, c’est bien un mâle, malheureusement la castration n’a pas fonctionné, on a eu un souci dès la première ablation, c’est comme si deux testicules étaient apparus là où je venais de retirer le premier. Bref, l’un dans l’autre, nous avons dû arrêter, mais nous sommes dans l’incompréhension la plus totale.
– Il a trois couilles maintenant ? Je vous le laisse avec deux couilles et vous me le rendez avec trois ?
Devant la clinique, Echidna qui s’est passé de l’eau sur le visage fume une cigarette en discutant avec la secrétaire de la clinique. Elles rient, adossées contre le mur blanc quand le hurlement de Typhon se fait entendre.
– SEPT COUILLES ?! QU’EST-CE QUE VOUS VOULEZ QUE JE FOUTE D’UNE HYDRE A SEPT COUILLES ?!
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