J’ai bien assez longtemps eu peur de parler, mais aujourd’hui, je ne peux plus me taire. Peu importent les risques que j’encoure, la vérité doit éclater au grand jour, alors écoutez-moi bien, car il s’agit peut-être de mon dernier discours. Je vous esquisse brièvement le contexte : Ulysse, retournant à Ithaque après la guerre de Troie, fait escale sur une île peuplée de cyclopes où Polyphème dévore quelques-uns de ses camarades avant que l’intelligence et la ruse légendaires d’Ulysse ne lui permettent de sauver le reste de son équipage de ce funeste sort. Il enivre Polyphème puis, profitant du sommeil de ce dernier, crève son œil unique et s’échappe en s’accrochant sous le ventre des brebis que le cyclope emmène paître. Balivernes !
Nous savons désormais que les cyclopes n’ont jamais existé : les crânes pourvus d’une orbite énorme et centrale qui sont à l’origine de ce mythe ont depuis longtemps été reliés aux éléphants et le trou perçu comme oculaire n’est autre que l’orifice à la base de leur trompe, ce qui signifie de façon irréfutable qu’Ulysse a menti et il est grand temps que ce mensonge bi-millénaire soit enfin démasqué ! Ulysse n’a pas pu être enfermé dans la grotte d’un cyclope dont la possibilité de l’existence a désormais été réfutée, il a en réalité été enfermé dans la grotte d’un éléphant, et nous aurions pu nous en rendre compte plus tôt, car le mensonge était bien peu construit et bien peu crédible : un véritable cyclope n’aurait jamais pu s’appeler Polyphème, car il n’en a qu’un, de phème, il aurait tout au plus pu s’appeler Monophème et il est donc évident que nous n’avons pas affaire à un cyclope dans cette histoire, mais bien à une créature munie de deux yeux comme l’est, par exemple, un éléphant. Un éléphant qui, célèbre pour sa mémoire, n’aurait jamais hurlé : « Personne a crevé mon œil unique ! », mais plus vraisemblablement : « Un marin ressemblant à [insérer ici la description photoréaliste d’Ulysse] a crevé un de mes deux yeux uniques (gauche ou droit, peu importe) » dans le cas d’un éléphant équipé de deux yeux uniques ou : « Un marin ressemblant à [insérer ici la description photoréaliste d’Ulysse] a crevé mon dernier œil unique » pour un éléphant en situation de borgnitude préalable, car nous savons tous que les éléphants sont connus pour leur mémoire d’une précision surhumaine. Nous voyons immédiatement que la seconde théorie, celle de l’éléphant en situation de borgnitude préalable, est la plus probable, car Ulysse aurait bien eu du mal à échapper à un éléphant borgne en colère tandis qu’un éléphant aveugle – en colère ou non – est plus facile à tromper. On peut aisément imaginer l’éléphant alerter ses collègues, qui de rire et de s’esclaffer : « Tu nous l’as déjà fait, le coup du pieu dans l’œil, c’est d’ailleurs bien pour ça que tu étais préalablement borgne. A trop crier au loup qu’à la fin elle se casse. » et rebrousser chemin. Mais rebrousser chemin pour faire quoi ? Paître des brebis ? Certainement pas, car l’éléphant est intolérant au lactose et préfère se sustenter, régime ou non, de bananes. On peut donc plus logiquement imaginer Soliphème, le lendemain matin, décomposé par son abus d’alcool et sa carence en yeux (désormais plus uniques du tout), ouvrant la porte de sa caverne pour laisser sortir paître son troupeau de bananiers sous les régimes desquels les marins, Ulysse en tête, s’agrippent à pleines mains aux mains de bananes afin de fuir l’île en espérant bien pouvoir éviter les conséquences de cet acte ignominieux.
J’espère vous avoir apporté ainsi une information que vous ignoriez jusqu’alors et qui, nul doute, bouleversera votre vision du monde et de la vie, que vous soyez en situation de cyclopisme ou de cécité ou non.
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