Alors qu’il approchait du port, …


Alors qu’il approchait du port, l’air s’humidifia et se chargea de sel. Les embruns se manifestaient olfactivement. Nulle autre trace de leur existence n’était encore perceptible. L’air sentait la mer, l’huître et les algues. L’air sentait la mer, les voiles et les récifs. La mer sentait la mort, la tombe, l’oubli, l’écueil, le naufrage, le corps qu’on ne retrouve jamais et qui dérive, qui se gonfle et se dégonfle, se boursoufle au rythme des respirations incessantes de la mer qui finit par le recracher mâchonné sur une plage, sous forme d’os de seiche, de coquillages, de bois flottés et de bouchons de bouteille en plastique.

L’homme plongea son regard dans la mer. Il serra son col pour prévenir l’intrusion de gouttes projetées par les vagues. La mer était là pour lui, il le savait. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il avait d’autres luttes à mener. Il tourna les talons sur les pavés blancs, sous le soleil froid, et jeta un dernier regard dans l’abysse avant de reprendre sa route.

Il remonta les rues depuis le port, faisant claquer les semelles de ses bottes sur les pierres blanches qui composaient la chaussée. Quand le ciel était dégagé et le soleil étincelant, elles reflétaient avec une telle véhémence son éclat qu’il était impossible de garder le regard tourné vers le sol. Mais le froid de l’hiver semblait avoir tout éteint, et la lumière triste que laissait transpercer la couverture nuageuse teintait la ville toute entière de nuances bleutées.

Il rangea ses mains — brûlaient-elles toujours ? — dans les poches de son manteau. Malgré les quelques gouttes d’eau qui les avaient éclaboussées, leur peau, desséchée par le vent, glissa sans peine contre le tissu, procurant à l’homme une légère sensation d’inconfort. C’était normal, pensa-t-il. Et, de fait, c’était normal. Il remonta les épaules pour mieux protéger son cou et continua sa route.


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