Au moins, pensa-t-il, au moins, dans la baignoire, il n’y a pas de coefficients de marée. Dans la baignoire, c’est moi qui décide qui coule et qui surnage, pensa-t-il en surgissant hors de l’eau bouillonnante. Je suis maître de ma baignoire et des aléas qui peuvent s’y présenter.
Il se hissa hors de la baignoire et se laissa glisser lentement sur le carrelage, déversant après lui une partie non-négligeable de son contenu.
– C’est là mon domaine, pensa-t-il en regardant ses jambes et ses bras écarlates fumer.
Son corps avait fortement tendance à être constitué de fumée ces derniers temps. Devait-il s’en inquiéter ? Devait-il s’en inquiéter maintenant ? Il avait sans nul doute problèmes plus urgents à régler.
– Non, pas de mesures à prendre, se dit-il, ôtant la bonde de la baignoire pour entendre enfin le bruit de succion envahir l’air dans ce que la vapeur daignait laisser d’espace libre pour un quelconque son.
Il ouvrit la porte et sentit la chaleur de la pièce s’échapper prestement, remplacée immédiatement par le froid glacial qui, il l’avait oublié l’espace d’un instant, habitait toujours son appartement. Le cramoisi de son teint s’estompa, laissant place à des membres froids, rigides, capables de se mouvoir au prix d’efforts démesurés comparés à leur étroitesse. Des veines bleues apparurent en surface de la peau devenue diaphane et disparurent presque aussitôt tandis que l’intégralité de son corps prenait la même couleur bleutée. Son corps sécha en un instant. Ses muscles se contractèrent, des frissons le parcoururent de haut en bas qu’il calma bien vite. Il en allait de sa survie, frissonner consommait bien trop d’énergie. Il bloqua ses épaules, son dos, sa mâchoire, ses hanches. Il bloqua toutes ses articulations pour en contrôler chaque mouvement et regarda longtemps la chaleur disparaître.
– Que c’est bon d’être chez soi, pensa-t-il.
Une fois que l’eau eut fini de sécher, que la vapeur eut fini de disparaître, que la température se fut régulée et qu’il eut éteint les lumières, il ne resta plus dans la salle de bain que quelques flaques d’eau froide sur le carrelage et l’odeur du savon.
Étendu sur le lit, il laissa le froid l’engourdir tendrement, bloquer complètement chacun de ses muscles, bleuir ses lèvres et anesthésier l’un après l’autre tous les fragments de son corps, jusqu’à ce que son esprit se sente embrumé, pressé doucement par un papier buvard. Il cessa de penser à la mer, au vent et au froid, il cessa de penser qu’il était bon d’être chez soi. Enveloppé dans son édredon intérieur, il se laissa aller au repos.
Bien sûr, dans la nuit, l’instinct de survie le poussera à se blottir sous les couvertures, à se recroqueviller sur lui, à frissonner. Bien sûr qu’une fois sorti du plaisir de la torpeur, son esprit assurera la survie de son corps. Mais pour l’instant, il contemple son gisant intérieur et les reliques qu’il abrite.
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