Cardiectomie


Parfois, mon cœur s’emballe. Souvent, je suis juste assis là, comme ça, et je ne fais rien de particulier. Des fois, je suis allongé. Et mon cœur s’emballe. D’abord, il rate un battement, comme s’il avait raté une marche. Comme si mon cœur avait avalé de travers ou que je l’avais avalé de travers, qu’il s’était coincé en travers de mon œsophage. En diagonale dans ma gorge et que mon corps, par instinct de survie, voulait l’évacuer. Mais il ne faut pas. Si mon corps évacue mon cœur, je meurs. Alors, je ferme tout, je le bloque, je le déglutis mais il s’accroche, il râpe tant qu’il le peut, de battement manqué en battement manqué, avant de tomber. Je ne sais pas très bien où il tombe, sans doute pas dans mon estomac, mais je n’en sais pas plus.

C’est là qu’il s’emballe vraiment. Avant, il prenait de l’élan, et maintenant, il part. Mon corps compte encore sur lui pour vivre, mais il n’est plus là. Il n’est plus là qu’à moitié. A demi ici et à demi en parallèle, peut-être occupé à battre à moitié pour quelqu’un d’autre. Il accélère pour rattraper ce qu’il manque, il vole mon souffle pour s’oxygéner, il fait frémir mes vaisseaux sanguins jusqu’à la peau. Jusqu’aux poils.

Alors je sens mon cœur en décalé, comme s’il était un peu pas là, un peu absent. Je le ressens avec la même sensation que mes doigts quand je me concentre un peu trop fort, un peu trop longtemps sur la lunule, vous savez, ce truc à la base de l’ongle. L’impression d’avoir dérangé quelque chose qui n’est pas tout à fait à moi. Peut-être que c’est un cœur de prêt, peut-être que c’est un cœur de location, peut-être que je l’ai mis en gage. Que ce soit un cœur de prêt ou de loin, c’est le seul que j’ai.

Quand mon cœur s’emballe, je m’immobilise, j’attends qu’il revienne. Il n’y a rien d’autre que je puisse faire qu’espérer. Attendre en espérant. Mon cœur, pourquoi fais-tu si peu de cas de moi ? Qui pèse sur qui, qui est le fardeau ? Je m’emballe moi aussi, comme si mon cœur et moi tournions autour d’un même soleil à six mois d’intervalle. Deux planètes sur la même orbite, deux planètes rouges du sang qui nous colore, mes joues et ses ventricules. Sans savoir qui suit qui, sans savoir qui fuit qui. Peut-être que je manque autant à mon cœur qu’il me manque. Il doit sentir mon attraction autant que je sens la sienne, de l’autre côté de ce soleil qui nous éblouit trop pour pouvoir nous voir, on ne sait plus de l’autre que son absence et sa présence, aux antipodes du système solaire.

Deux planètes rouges en perdition, quand mon cœur s’emballe et un mars.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *