Je suis une planète, pensait-il, je porte en moi des milliers de vies et, aussi insignifiantes puissent-elles toutes être pour vous, elles sont pour moi un but et une fin, et il est de mon devoir de les accompagner le plus longtemps possible et de faire de mon être le havre le plus propice à leur multiplication.
Au début, il y avait eu le ténia. Il ne s’en était pas rendu compte tout de suite, il ne s’en était même pas rendu compte rapidement du tout, il lui avait fallu plusieurs années pour enfin se poser la question de son appétit si grand et de sa perte de poids qu’on pouvait qualifier de miraculeuse. Puis, un ami avait esquissé une blague et, de fil en aiguille, il s’était retrouvé chez un médecin qui lui confirmait la présence d’un ver solitaire et lui expliquait la démarche à adopter pour s’en débarrasser. Herbert ne lui avait jamais fait de mal, pourtant, Herbert batifolait dans le labyrinthe végétal de sa flore intestinale et aspirait à la tranquillité, il estimait à leur juste valeur les intérieurs de l’homme qui, désormais au fait de l’existence du premier habitant de son corps, s’émerveillait chaque jour un peu plus du miracle de la vie.
Suis-je le propriétaire du corps que je contrôle ? Historiquement, oui, mais ils sont des centaines désormais, chaque vie est une vie, et je ne vois pas très bien pourquoi j’aurais sur ce corps plus de légitimité qu’eux.
La famille Duchapeau avait pris ses quartiers d’été, ou quartiers de tête, comme il aimait les appeler, un mois de juillet particulièrement ensoleillé. Il avait ramassé une casquette sur un banc dans un parc pour se protéger de la chaleur cuisante du soleil et avait, sans le savoir, invité une charmante famille à partager sa vie. La famille Duchapeau savait se réguler. Certes, de temps en temps sa tignasse le grattait atrocement, mais ils s’occupaient avec bienveillance de ses peaux mortes, c’était un échange avantageux pour les deux parties. Et, il devait bien l’avouer, il se sentait moins seul. Savoir que chaque jour tous ces couples se formaient dans ses cheveux, que des enfants naissaient et grandissaient le ravissait jusqu’au cœur. Il aurait été bien inhumain de sa part d’imaginer les éliminer.
Plus je suis occupé et plus je me sens vivant, je me sens un havre de paix, un lieu d’asile et de plénitude. J’aime vous sentir courir sur moi, mordre, piquer, ça veut dire que vous savez faire bon usage des ressources que je mets à votre disposition, que mon corps ne sera jamais perdu comme ces amas rocheux désolés qui dérivent dans l’espace.
La famille Duslibard arriva un mois après la famille Duchapeau et pris ses quartiers plus bas. Le mois d’août est souvent propice à ce genre d’incidents et l’homme ne s’en formalisa pas outre mesure. Il essaya bien de créer quelques ponts commerciaux entre les deux familles, celle vivant à l’air sec et en pleine lumière et celle préférant l’humidité et l’obscurité, mais les tentatives de rapprochements connurent toutes l’échec et il se dit que, si les choses devaient se produire, elles se produiraient en leur temps, et que si elles devaient ne jamais se produire, eh bien c’était comme ça, il n’y avait aucune obligation à tout découvrir dans la vie et il faut parfois se contenter de cultiver son jardin.
Croissez et multipliez-vous, je veux sentir la vie grouiller en moi, je veux me sentir utile à quelque chose, à quelqu’un, je vous veux organiques, je vous veux invasifs, je vous veux comme des enfants capricieux, démembrez-moi et mangez-moi, faites-de moi votre banquet.
C’est après une promenade en forêt un dimanche qu’il remarqua la présence de Frédétique, Domitique, Ludotique, Pattique et Vérotique. Vérotique, localisée sur la cheville gauche, pouvait discuter avec ses camarades lorsqu’il pliait le genou pour la hisser vers les domiciles de ses différents locataires : Frédétique sur la cuisse droite, Domitique et Ludotique sous le bras droit mais Pattique, sur l’omoplate, lui demandait davantage de souplesse.
Je vous lègue tout, puissiez-vous trouver dans les graisses de mon cerveau, quand vous les dévorerez, la connaissance qu’elles ont portée. Devenez savants, explorez le monde qui était le mien et faites-en le votre, le temps de l’homme a assez duré, il nous faut désormais passer le flambeau.
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