Chez lui, …


Chez lui, la température était identique à celle de la rue. Glaciale. Il regarda un nuage de vapeur s’échapper de sa bouche alors qu’il fermait la porte et se tournait vers la pièce plongée dans la pénombre. Rien n’avait bougé en son absence. Il se déshabilla à la hâte et se dirigea vers la salle de bain pour profiter de la seule source de chaleur que pouvait lui procurer son appartement.
La vapeur, chaude, envahit la pièce. Elle lui sembla plus salvatrice que l’eau elle-même, plus enveloppante. Il sentit l’eau brûler ses pieds glacés avec délectation.

– Que c’est bon d’être chez soi, pensa-t-il.

Il plongea dans l’eau brûlante et se sentit rougir. Il sentit les muscles de son dos se relâcher, ses articulations se déverrouiller et reprit conscience de son corps dans sa totalité. Il se rendit compte que la présence de certains morceaux lui avait petit à petit échappé au cours des dernières heures, qu’il s’était coupé de lui-même comme on se sépare d’un fardeau ou comme on lâche du lest. Il reprenait alors le contrôle de ces petits bouts qu’il incorporait tendrement à son épiderme. Coupures, saillies, heurts. Plus haut, dans le dédale de son cerveau, un travail similaire s’opérait. Là aussi, il reprenait conscience des figments qui s’étaient détachés de son esprit et qui se manifestaient à lui. Là aussi, coupures, saillies, heurts.

Il se dit qu’il ne mourrait pas ici, que cette eau ne le tuerait pas, que seule la mer pourrait marquer sa fin.

En se disant ceci, il s’allongea dans la baignoire.

En se disant ceci, il ferma les yeux.

En se disant ceci, il sentit l’eau l’envelopper, lécher ses joues et ses pommettes alors qu’il enfonçait son visage sous la surface.

En se disant ceci, il exhala délicatement l’air qui peuplait encore ses poumons.

En se disant ceci, il inspira intensément.

En se disant ceci, il emplit ses poumons de l’eau brûlante de la baignoire.

– Je ne mourrai pas ici, cette eau ne me tuera pas, seule la mer peut marquer ma fin, pensa-t-il en ouvrant des yeux plein d’écume et de houle. Ceci dit, se dit-il, ceci dit, peut-être n’est-ce pas la bonne solution.

Il se regarda se noyer lamentablement dans la baignoire de porcelaine sale. Et une fois qu’il se fût bien noyé, une fois qu’il se fût noyé intégralement, qu’il eut évacué toute goutte de vie de son corps, que sa peau eut commencé à se détacher par fines couches et à se dissoudre dans l’eau, une fois qu’il eut fini d’exister, il se tira hors de la baignoire et se regarda se relever.

– Il ne faut pas que je me laisse aller comme ça, il faut que je me reprenne en main. Même si je ne trouve pas dans mes bras la force de me hisser au-dessus de la surface de l’eau, même si de jour en jour ma ligne de flottaison se fait plus basse, que mon gréement grince, mon bois craque, mes cordages cassent, mes voiles se déchirent, je dois encore sortir en mer.


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