De la pointe de ses phalanges…


De la pointe de ses phalanges distales, le squelette retira une rondelle de concombre qui avait glissé dans son orbite creuse. Il essaya sans succès de la replacer afin qu’elle couvrît le trou et finit, par dépit et par colère, par l’avaler. Dans la foulée, il mangea la deuxième, qui tenait, placée dans un équilibre incertain sur ce qui avait dû être un œil gauche.

De la pointe de ses phalanges distales, le squelette retira une rondelle de saucisson à l’ail qui avait glissé dans son orbite creuse. Il essaya sans succès de la replacer afin qu’elle obstruât le trou et finit, par dépit et par colère, par l’avaler. Dans la foulée, il mangea la deuxième, qui tenait pourtant fermement, coincée à la perfection dans ce qui avait dû être un œil droit.

Il soupira, sans trop savoir comment, et alla chercher une lingette pour nettoyer la crème exfoliante dont il s’était badigeonné l’os frontal, le maxillaire et la mandibule avec attention. Il s’étudia dans le miroir en passant ses phalanges le long de toutes les arêtes de son crâne. Décidément, ça ne s’améliorait pas. Il avait beau faire, toujours les mêmes aspérités à la surface de l’os accrochaient lors du passage de ses doigts. Il fallait se rendre à l’évidence, la méthode douce ne donnait rien.

Il cracha par terre, sans trop savoir comment, et alla chercher une tranche de pain pour nettoyer les rillettes de canard dont il s’était badigeonné l’os pariétal, temporal et occipital avec attention, ainsi que l’intégralité de ses incisives, canines, prémolaires et molaires. Il s’étudia dans le miroir en passant ses phalanges le long de toutes les arêtes de son crâne. Le nouveau brillant qu’il présentait lui plaisait de plus en plus, il avait un effet de plus en plus plastique. Il fallait se rendre à l’évidence, la méthode charcutaille – cochonnaille faisait des miracles.

La pendule de l’entrée sonna 16 h 18. Il équipa sa longue faux et regarda son emploi du temps. Il attrapa un stylo qu’il tenta d’humecter de la pointe de ses dents et commença à rayer de nombreuses lignes. Combien de fois allait-il devoir le répéter au secrétariat ? Pas de noyés le samedi. Était-ce possible de s’en souvenir ?

La pendule de l’entrée sonna le 19 mars 2023. Il équipa son lourd fléau d’armes et regarda son emploi du temps. Il attrapa un stylo qu’il tenta d’humecter de la pointe de ses dents, étudia avec attention le texte qui occupait la page du cahier et finit par rayer une unique ligne. Combien de fois allait-il devoir le répéter au secrétariat ? Pas d’éviscérations le dimanche. Était-ce possible de s’en souvenir ?

Il lui avait déjà été très compliqué de leur faire comprendre la différence entre nature et cause de décès. Un meurtre ou un suicide sont des natures de décès, une noyade est une cause, et tout décès qui se respecte allie de façon plus ou moins heureuse une nature et une cause. Une chute accidentelle. Un suicide dans une baignoire. Un assassinat perpétré à grands coups de rayons de vélo. On voyait de tout de nos jours, mais il n’y avait guère de véritable renouveau.

Il lui avait déjà été très compliqué de leur faire comprendre la différence entre cause et nature de décès. Mourir brûlé ou étranglé est une cause de décès, un accident est une nature, et tout décès qui se respecte allie de façon plus ou moins heureuse une cause et une nature. Un démembrement inopiné après s’être fait happer le bras par un ascenseur. Un tabassage à mort à coups de lunette de toilette. Un suicide associant habilement une cuiller à glace, un bouchon de champagne et une chaussure droite. On voyait de tout de nos jours, mais il n’y avait guère de véritable renouveau.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *