Les absents ont toujours tort


Il est quatorze heures et les averses de la matinée semblent s’être définitivement muées en une pluie drue et lourde. De l’autre côté de la fenêtre, les gouttes claquent sur les pavés et les recouvrent d’une pellicule d’eau toujours mouvante qui ondule et fragmente la lumière. Sur le côté, le goutte à goutte plus soutenu de la gouttière percée s’est intensifié en un flot continu qui se dégorge sur le trottoir dans un gargarisme agonisant. Les carreaux se mouchettent doucement. Ce soir, une fois la pluie finie, tout rappellera son passage. L’air moite, le sol humide, la terre sombre, mais demain, il ne restera plus de cette pluie que les coulures sèches sur les vitres.

Il est quatorze heures quatre, la pendule sonne deux fois. Elle fait preuve du retard propre aux vieilles mécaniques. La sonnerie résonne dans la pièce, sans personne d’autre que le chat pour l’entendre, le chat qui dormait sur la chaise installée dans l’angle de la cuisine et qui ouvre désormais un œil, se redresse, baille et s’étire. Il s’assoit sur le bord de la chaise, regarde le carrelage attentivement et finit par descendre pour sortir par la porte entrouverte. Sans hâte, sans bruit, sans déranger le moindre objet. Désormais, la pièce est exactement la même mais sans le chat, l’air frémit encore de la vibration de la pendule.

La cuisine n’est pas très bien rangée, la vaisselle du petit-déjeuner repose dans l’évier, celle du dîner a fini de sécher dans l’égouttoir. Le frigo vrombit. Il y a une table en bois couverte d’une toile cirée sur laquelle quelques miettes traînent, un verre sale, un quignon de pain qui durcit, le vase avec les jonquilles qui commencent à s’affaisser, une serviette pliée. Un torchon a été déposé sur le dossier d’une des quatre chaises.

Il y a des mouches sur la table, il y a des mouches qui palpent les miettes, qui s’envolent en cercles incomplets et se reposent. Il y a beaucoup de mouches dans la pièce et, malgré le bruit de la pluie et celui du frigo, il y a un silence profond qui s’entend encore derrière. Et derrière le silence, et derrière la porte entrouverte de la cuisine qui a avalé le chat, il y a l’inconnu. Qui poussera cette porte pour trouver la cuisine dans cet état ? Le chat à quatorze heures neuf pour revenir s’allonger sur la chaise ? Un frère et une sœur de huit et dix ans à seize heures trente, rentrant de l’école en jouant et en criant ? Un homme seul à dix-huit heures, passé pour remplir une bouteille d’eau et pressé de repartir ? Une jeune femme à une heure trente cette nuit, alcoolisée et béate ? La police à six heures demain matin, prenant des photos et laissant voir par la porte ouverte un sac à cadavre qui vient d’être fermé ?

Ou pire, ou rien, ou jamais.


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