– C’est noir.
– Quoi ?
– Je dis : c’est noir.
– Ah ?
Puis, après un temps laissé à la réflexion :
– Ah oui ? Tu trouves ?
C’est au tour du premier homme de réfléchir désormais. On l’entend marcher, sans doute tourne-t-il sur lui-même pour vérifier si c’est bien noir de tous les côtés, sans doute lève-t-il et baisse-t-il la tête pour s’assurer que c’est également noir en haut et en bas.
– Oui, je trouve. C’est noir. En tout cas, on n’y voit rien.
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Je dis qu’en tout cas, on n’y voit rien.
– Ah bon ? Tu trouves ?
Sa question se perd dans le silence. Il tourne sur lui-même à son tour et ne voit rien, pas même l’homme avec lequel il parle, avec lequel il parlait jusque là et qui refuse désormais de lui répondre.
– Tu trouves qu’on n’y voit rien, toi ?
– C’est pas que je trouve qu’on n’y voit rien, c’est qu’on n’y voit rien, enfin ! Mais tu vois quelque chose, toi ?
– Bah non, mais je sais pas, peut-être que si on regarde un peu mieux on verra quelque chose, tu crois pas ?
– Regarder mieux quoi ?
– Quoi ?
– Tu veux regarder mieux quoi ? Tu veux regarder quoi ? Qu’est-ce que tu veux regarder ?
Il crie presque à présent.
– Bah je sais pas, il n’y a pas grand-chose à voir. A part le truc là-bas.
– Quel truc là-bas ? Où ça ?
Il se rapproche de la voix de l’autre homme et essaie de deviner dans quelle direction regarder.
– Tu dis quoi ?
– Quel truc ? Tu as vu quel truc ? C’est où ?
– Bah, là, dit-il en pointant un doigt dans le noir. Le truc sombre qui bouge dans le vent.
– Un truc sombre ? Mais il n’y a pas de vent ?
– Ici, non, mais là-bas, sans doute.
– Mais où ça ? Je ne vois rien.
– C’est parce que je suis là depuis plus longtemps, je pense que mes yeux se sont habitués à l’obscurité. Il y a un truc sombre qui bouge dans le vent.
Il laisse passer un silence. Il plisse les yeux, il réfléchit.
– Ah mais non, c’est pas un truc, ça se déplace, ça vient vers nous, même. Un genre d’animal, on dirait.
– Ca ressemble à quoi ? Ca a l’air dangereux ?
– Quoi ?
– C’est quoi comme animal ?
– Ah ? Ah je sais pas. Un truc sombre, il est tout proche maintenant.
Il s’accroupit tandis que l’autre homme lui pose la main sur l’épaule.
– Petit, petit, viens là faire un câlin.
Subitement, il n’y a plus d’épaule sous sa main, l’autre homme a disparu et le silence n’est plus troublé que par sa seule respiration.
– Eh ! Tu es là ?
Dans le lointain, une nouvelle voix d’homme se fait entendre dont il ne discerne pas les propos, un homme dont il arrive à dessiner les contours noirs sur le fond noir et auquel il répond :
– Quoi ?
– Je dis : c’est noir.
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