Pas à pas


Le temps vient à manquer. On dit ça quand on vieillit, on dit ça quand on sait que le temps commence tout juste à manquer. Quand le temps manque vraiment, on ne le dit plus. On y pense. On le sait. Le temps manque, et il n’est alors plus temps de s’appesantir, il est déjà trop tard. C’est qu’il est parti, le temps des espoirs et le temps des projets. Celui des envies, des rendez-vous, des attentes impatientes, de l’angoisse du peut-être et de l’angoisse du peut-être pas. Et il est parti aussi celui de s’inquiéter des choses qui ne seront plus faisables, qui, avant même que ce soit la fin, sont mortes. Il ne reste plus que le présent et l’immédiateté, la peur constante qui résonne et oscille, qui monte et qui descend avec les jours, les heures, les minutes.

On veut écouter encore le bruit des pas dans la neige, le crissement blanc et froid, ou on ne veut plus, on le connaît déjà et il y a tant de bruits de pas qu’on ne connaît pas, qu’on ne savait même pas vouloir connaître, et tous les bruits de pas dont on ignore l’existence, ceux dont on sait l’existence et qu’on entendra jamais, et ceux qui rythment le quotidien et dont il faut se satisfaire. Le pied nu qui frotte le tapis, la semelle qui couine sur le parquet, le talon qui cliquète sur le carrelage. Entre autres, entre mille. On met un pied devant l’autre, on s’arme d’une canne ou de deux pour résonner davantage, ajouter le son au son, on ne veut plus faire dans le minimalisme. On fera bien assez tôt dans le minimalisme, et bien assez longtemps. On voudrait pouvoir faire tant de pas d’un coup, mais on ne fait qu’un pas à la fois, et on panique, on fait ceux qu’on peut et on se satisfait de ce qu’on a.

Les chaussures deviennent l’armure qui permet d’affronter le monde, une enceinte mobile, le cheval ou l’éléphant, l’âne parfois, une monture, une pointure dans laquelle on se moule. Et parfois pas, et c’est comme ça. Les chaussures sont à chacun ce qu’il en fait, et tant que les chaussures ne sont pas devenues des cercueils, on les enfile dans l’espoir de ne pas faire aujourd’hui les six derniers pas qui nous mèneront en terre, qui nous mettront sous terre.

Jusqu’à quand peut-on prendre ses jambes à son cou, faire des pieds de nez, des parties de jambes en l’air, mettre les pieds dans le plat, prendre son pied, emboîter le pas, faire le pied de grue, tenir la jambe, avoir les pieds sur terre, se lever du pied gauche, faire des ronds de jambe, retomber sur ses pieds, faire des pieds et des mains ? Je crois qu’on peut continuer tant que ça nous botte.

Et, qui sait, intégrer un jour le club foot, peut-être.


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