Pasiphaé


– Déjà, quand tu étais dans mon ventre, je savais que je ne voulais pas de toi. Tout de suite, je l’ai senti, je ne voulais pas de cette créature monstrueuse qui poussait dans mon ventre, qui délogeait tout pour y faire sa place, qui redécorait mon intérieur à son goût et mettait au rebut mes organes sans aucune empathie. J’ai toujours su que tu allais être un parasite, tu m’as bouffée de l’intérieur pendant neuf mois et je savais très bien que tu ne t’arrêterais pas en sortant, que tu allais me bouffer ma jeunesse, ma réputation, mon énergie, ma vie et mon bonheur. Et tu as tout bouffé, tout ça et le reste, tu as toujours été insatiable. Tu as épuisé mes seins et vidé mon corps de tous mes sentiments. Même une fois dehors, tu as continué à me pomper tout ce qui était dedans, comme une sangsue, un parasite dont on ne peut pas se défaire. Je ne suis plus qu’une croûte vide, une grosse cloque, sous ma peau fripée il n’y a plus rien, mes seins sont vides, il n’y a plus que de l’air dans mes veines et plus rien ne pulse là haut. Je ne peux pas pleurer, je ne peux pas trembler, je ne peux même pas frémir parce que je n’éprouve plus rien. Même pas de la lassitude, même pas l’espérance que tout se finisse, rien, juste du vent, des courants d’air qui ne portent ni son, ni odeur, ni chaleur. Du vent mort. Il n’y a qu’une seule chose que je regrette, c’est bien de ne pas avoir été ta seule victime. C’était ça, mon rôle de mère, t’empêcher de faire du mal à qui que ce soit d’autre. Au moins, j’ai pu te refuser tout contact avec le monde extérieur, t’empêcher de te reproduire et de te multiplier. M’assurer que tu meures seul et que tu ne laisses jamais rien derrière toi de plus que ma carcasse. Car je te survivrai, mon garçon, oh oui, je le promets. Centenaire, je continuerai à veiller sur cette porte, millénaire, je serai toujours là, rigide car c’est tout ce que tu m’as laissé, et dans cent millions d’années, quand tu ne te seras toujours pas lassé de cogner pour sortir, moi non plus je ne me serai pas lassée de te garder enfermé. Oh, j’aurais pu te promettre l’amour et le bonheur, mais c’est l’oubli dont je serai ta garante, mon petit.

– Maman, je n’en peux plus de ne me nourrir que de chair humaine.

– C’est bien, mon petit, ne résiste pas.

– Maman, je deviens fou.

– C’est bien, mon petit, deviens fou.

– Maman, la solitude me tue.

– C’est bien, mon petit, meurs.

– Maman, pourquoi tu ne m’aimes pas ?

– Tu n’es responsable de rien, mon petit, c’est moi qui suis à l’origine de nos malheurs, et c’est à moi qu’il incombe d’y mettre fin. Je ne peux pas t’aimer parce que si je t’aime, je condamne toute la race humaine. De toute la force de mes entrailles desséchées, je jure que j’empêcherai qu’advienne ce jour maudit. Je ne t’aime pas car c’est ma punition que d’expier pour deux la faute que j’ai commise et que t’aimer ne pourrait que me rendre plus coupable, je ne t’aime pas car c’est la seule façon que j’ai de me racheter auprès des hommes et des dieux.


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