– Ça a été au collège aujourd’hui ? Tu as eu des notes ? Tu as des devoirs à faire pour demain ?

– Non, j’ai pas eu de notes, non, j’ai pas de devoirs, et non, ça n’a pas été, je déteste l’école et je comprends pas pourquoi je suis obligée d’y aller jusqu’au bac. C’est nul.

– Voyons, ça ne peut pas être si nul que ça quand même, tu as des bonnes notes et les professeurs t’apprécient, ils sont tous très contents de toi.

– Mais je m’en fous des notes, j’en ai marre que tous ces cons passent leurs journées à se foutre de ma gueule, j’ai pas d’amis. Voilà, j’ai pas d’amis, je passe mes récrés toute seule et l’heure du repas au CDI. Trop cool ma vie.

– Ça ne durera pas, tu sais ma chérie. Tu verras, en grandissant, les choses seront plus faciles. Qu’est-ce qu’ils ont dit qui t’a mis dans cet état ?

– Aujourd’hui, ils ont passé la journée à dire que j’avais des pellicules.

– Mais tu n’as pas de pellicules, ce sont des mues, tu le sais bien ma chérie.

– Oui, je sais, mais ça ne les empêche pas de passer la journée à dire « Méduse a des pellicules, Méduse a des pellicules ! ». Tous des cons.

– Tu leur as expliqué au moins ? Que c’est quand tes serpents muent et que ce ne sont absolument pas des pellicules ?

– Je peux pas leur expliquer, ils me laissent pas parler, et je pense pas qu’ils savent ce que ça veut dire, des mues.

Intervention du père qui a du mal à se contenir tant il se fait rire lui-même :

– Ils en tomberaient des mues.

– Ce n’est pas le moment, Phorcys, tu vois bien que Méduse est bouleversée. Allons, ma chérie, dans une semaine, il n’y paraîtra plus et ils arrêteront, tu n’auras qu’à mettre un bonnet en attendant.

– Pff, vous faites vraiment tous chier, ya personne qui me prend au sérieux dans cette maison, non seulement c’est nul à l’école, mais c’est aussi nul en rentrant, si j’avais su, je serais pas née, mais non, on m’a pas demandé mon avis.

Céto ne trouve rien à répondre à sa fille. Bien sûr, en tant que mère, Méduse fait sa joie au même titre que ses sœurs, mais c’est compliqué de trouver les bons arguments pour raisonner une ado.

– Et ici, il y a juste vous qui comprenez rien et Euryale et Sthéno qui sont plus connes que leurs pieds et qui refusent même de m’adresser la parole, super. Famille de cons.

La voie d’Euryale se fait entendre depuis sa chambre :

– Je vais pas me faire chier à m’intéresser à toi alors que t’es mortelle et que dans cent ans à peine, tu seras morte.

Phorcys se lève, disparaît dans le couloir et on entend le bruit d’une gifle et le hurlement d’Euryale qui reprend :

– Bah quoi, c’est vrai, j’y peux rien si sur trois filles vous en avez fait deux immortelles et une mortelle qui en plus a des pellicules, vous pouvez vous en prendre qu’à vous d’avoir fait une handicapée !

Deuxième son de gifle suivi des grognements de Phorcys, de hurlements d’Euryale et de sifflements de cheveux. Dans le salon, le silence devient pesant. Céto s’approche de Méduse qui se lève pour empêcher sa mère de la serrer dans ses bras.

– Ma chérie, tu sais que nous t’aimons de tout notre cœur ton père et moi.

– Je vous déteste tous, je vais dans ma chambre, j’ai pas faim.